2007, année zéro de la gauche

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L'échec socialiste vient de l'absence de réponse à ce désastre global que représente le néolibéralisme

Comment ne pas voir que la " préférence nationale ", qui, une fois encore, a hanté la campagne présidentielle, est un des principes au fondement de l'Etat social, et qu'ainsi la " lepénisation " des institutions, bien que toujours contestée, est en un sens originelle, qu'elle est inscrite dans la distinction " républicaine ", opérée au sein de la population vivant dans ce pays, entre citoyens-nationaux et étrangers, ce qui donne toute sa force et son réalisme aux mots d'ordre frontistes ?

Comment ne pas entrevoir, de ce point de vue, que le racisme contemporain, loin d'être une regrettable pathologie des classes populaires, que suffirait à expliquer la concurrence accrue sur le marché du travail, est fondamentalement un racisme d'Etat, alimenté par ses élites, et indissociable de processus de " subjectivation " nationale des citoyens, c'est-à-dire de processus de production et d'inscription corporelle, affective, linguistique, intellectuelle de la " francéité " à travers ce que l'on appelait naguère des " appareils idéologiques d'Etat " tels que l'école ?

Comment ne pas voir, de surcroît, si l'on souhaite entrer dans une analyse plus précise de la conjoncture présente, que, comme l'ont démontré de façon définitive Simone Bonnafous dans L'Immigration prise aux mots (éd. Kimé, 1991) et Maxim Silverman dans Deconstructing the Nation - Déconstruire la nation - , le vocabulaire et les leitmotive du lepénisme ne sont que la reprise de thèmes d'opinion largement diffusés dès avant la première percée électorale du FN ?

Ce sont Valéry Giscard d'Estaing et Raymond Barre qui ont lancé le projet fantasmatique d'une politique du retour des travailleurs immigrés - supposés étrangers aux réalités sociales de la France, selon une formule employée plus tard par Pierre Mauroy à propos d'ouvriers en grève - et mis en circulation l'équation " tant de chômeurs = tant d'immigrés de trop ". C'est le Parti communiste qui a acclimaté l'idée d'un " seuil de tolérance " au-delà duquel " l'intégration " - traduction contemporaine de " l'assimilation " coloniale - ne serait plus possible.

Comment ne pas voir de plus que le thème de la " lepénisation des esprits " a justement pour effet d'" invisibiliser " cette diffusion, certes complexe et modulée, du " lepénisme " au sein du champ politique et idéologique, comme s'il était circonscrit au FN et à son électorat prétendument " populaire " (le racisme de classe joue ici à plein régime), alors que celui-ci n'a fait que cristalliser des motifs idéologiques en circulation dans l'ensemble de l'espace social, notamment au sein des classes moyennes et supérieures, notamment au sein de larges sections de l'électorat socialiste, quand même sous des formes euphémisées et accompagné d'une bonne volonté antiraciste sincère (l'inconscient politique ignore la contradiction) ?

Comment ne pas voir que depuis trente ans, à l'heure de la crise de l'Etat national et social, le ressort de la " lepénisation des esprits ", à droite comme à gauche, repose sur la nécessité de légitimer des politiques antisociales en agitant le drapeau national, en payant de monnaie de singe les classes populaires et moyennes ?

Comment ne pas voir, en particulier, que le PS - incapable de formuler et d'inventer les termes d'une réponse de gauche à la " crise ", réduit à n'être qu'une machine électorale préoccupée de sa seule reproduction, se faisant en conséquence l'artisan par excellence de ladite " modernisation " (avec d'autant plus d'efficacité que, en raison de sa coloration passée, il était, du moins dans un premier temps, bien mieux placé pour neutraliser ou paralyser toute critique de gauche), naviguant au gré des sondages (ne pouvant donner le la à l'époque, il lui fallait bien suivre quelque ritournelle) - a trouvé dans la lutte contre le FN de quoi cimenter autour de lui un consensus négatif, par défaut, prenant ainsi l'électorat de gauche en otage, se présentant comme le seul rempart face à une droite et un FN qui ne tirent leur puissance que de son impuissance et de ses renoncements ? Et cela, alors même que ce parti contribuait à diffuser dans l'opinion l'idée d'un " problème de l'immigration " : Laurent Fabius affirmant que Jean-Marie Le Pen pose de vraies questions. Lionel Jospin s'accordant avec Jacques Chirac pour dire que " l'identité française " devait être défendue ; Michel Rocard déclarant, en une formule remise au goût du jour par Nicolas Sarkozy, que " la France ne peut accueillir toute la misère du monde " (ajoutant néanmoins qu'elle doit " savoir en prendre fidèlement sa part "), comme si toute cette " misère " souhaitait s'installer en France.

Comment ne pas voir qu'une telle logique, si elle pouvait être électoralement payante à court terme, ne pouvait à moyen terme qu'achever la dissolution du bloc historique, culturel et politique, du " peuple de gauche ", déjà entamée par la transformation postfordiste de l'économie capitaliste et la réorganisation de celle-ci à l'échelle mondiale, et donc se miner elle-même ?

Comment ne pas voir aussi, à l'heure de sa précarisation structurelle, l'imposture que représente la reprise en choeur par la gauche de l'antienne de la " valeur travail " ? Comment ne pas voir que la réponse de la gauche de gauche à cette situation - critique du " néolibéralisme ", défense des " acquis ", défense du compromis social-démocrate qui soutenait l'Etat social et la société salariale (et leurs dispositifs de discipline et de contrôle social) -, si elle vaut mieux que celle du PS, quand elle ne se disqualifie pas par des accents " souverainistes " ou " républicanistes ", est insuffisante et impuissante, qu'elle trahit une incapacité à prendre toute la mesure des " temps nouveaux " ?

Comment ne pas voir, enfin, s'agissant du résultat de l'élection présidentielle, qu'il n'est que la traduction de la dissolution du bloc historique du peuple de gauche, du brouillage des identités de classe et du flottement des identités politiques qui s'ensuivent, ouvrant ainsi une période qui peut être caractérisée, selon une expression paradoxale empruntée à l'historien britannique Edward Thomson par Etienne Balibar, de " lutte des classes sans classes " ?

Comment ne pas voir combien vains et même obscènes sont les commentaires proposés de cette élection. Ces commentaires ne visent qu'à déterminer la part de responsabilité des uns ou des autres dans la défaite - au regard de cette faillite dramatique des gauches et de leur toile de fond : le désastre global, social et écologique, qui ne cesse de s'approfondir, la mise à sac de la planète, l'intensification à un degré inconnu jusque-là de l'exploitation capitaliste à l'échelle mondiale.

A quoi s'ajoute l'emprise inégalée, partout, d'oligarchies qui peuvent bien, ici ou là, s'accommoder d'une dose de démocratie ou de libéralisme politique, mais qui toutes travaillent à la mise en place de sociétés de contrôle, de sociétés " sécuritaires ", dont la nature relève, selon des expressions proposées dès 1977 par Gilles Deleuze, d'un " néofascisme ", d'une constellation de " microfascismes " de forme inédite.

Nous avons la conviction que l'effort pour apporter des réponses à ces questions et à ces constats est aujourd'hui nécessaire si nous voulons briser le cercle de l'impuissance et retrouver une certaine puissance d'agir, si nous voulons déployer une politique effective visant à maximiser le contrôle collectif sur les institutions, nationales et transnationales, qui gouvernent nos vies et les possibilités concrètes d'une égale liberté de tous et de toutes.

Si nous nous montrons incapables de répondre à ces questions, aussi dramatique que soit l'élection de Nicolas Sarkozy, celle-ci risque fort de n'apparaître bientôt que comme une péripétie parmi d'autres de la course au désastre qui s'est engagée. Il nous faut donc bien prendre la mesure de l'urgence que nous persistons à ne pas reconnaître. There is no time, chantait déjà Lou Reed à la fin des années 1980.


Jérôme Vidal,
Editeur

In Le Monde du 17 mai 2007
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C
<br /> Communiqué du Comité Anonyme pour l'Abstention Active.<br /> <br /> <br /> Plus bête et plus fallacieux que jamais : Votez contre !   Votez PS contre UMP !  Votez UMP contre FN !  Votez FN contre la Phalange française néo-fasciste !<br /> Jusqu'où voter contre ?<br /> <br /> Des bulletins de votes pour choisir nos corrompus.<br /> Préparer vous à prendre le chemin des urnes pour choisir celui des candidats qui vous représentera le moins mal possible.  Avec soin, choisir la faction qui sera amenée à vous dicter ce<br /> qu'il convient de subir.<br /> <br /> <br /> Préferez l'abstention !<br /> <br /> Ne pas voter n'est pas un désengagement, mais un refus des choix restreints qui nous sont offerts.<br /> « lls ont voté et puis après ! », chantait Léo Ferré.  Les élections passent et les problèmes restent.<br /> <br /> Les élections ne servent que les intérêts du gouvernement. Le droit de vote permet de légitimer le gouvernement en limitant dans la réalité le choix et la volonté du peuple.<br /> La sélection des candidats est facilement contrôlable par les diverses forces politiques en place.<br /> Ce système perpétue la pauvreté, les inégalités, le racisme, le sexisme, la destruction de l'environnement et la guerre.<br /> Il ne faut pas s'attendre à résoudre un de ces problèmes en changeant de corrompu tous les quatre ou cinq ans.<br /> <br /> Ne pas voter favorise le Front national. Absurde rhétorique.  Le Front national ne progresse pas avec l'abstention, mais lorsque la croyance dans les autres partis s'amenuise.<br /> La fumisterie des partis élus apparaît dans toute son évidence après les élections. L'électeur se tourne alors naturellement vers le parti qui n'a pas encore fait la démonstration de son<br /> incompétence.  Le FN en est l'exemple parfait.  Petit à petit, après la démonstration de nullité de tous les autres partis, le FN fait inévitablement sa place.  Il sera<br /> probablement élu un jour à la présidence.  Par l'abstention massive, le FN, ne sera élu que par la plus réduite des minorités.<br /> Voter massivement contre le FN, serait prendre le risque s'il est élu, de lui procurer toute la légitimité dont il a besoin. Car l'électeur se doit de respecter le choix du srutin.<br /> Voter contre le FN et réussir à élire à sa place un parti presque autant réactionnaire de droite ou autrement corrompu de gauche, ne semble pas une option lucide et durable pour un avenir<br /> meilleur.<br /> <br /> Le discours simpliste servi à tout bout de champs est toujours le suivant  « Qui c'est qui va raler quand le FN sera élu !? »  Nous abstentionnistes, serons légitimement les seuls à<br /> pouvoir râler et protester, car nous n'acceptons plus les chimères du jeu électoral.  Ne participant plus aux élections, nous ne sommes plus contraint de respecter l'imposture du<br /> srutin.  Citoyen affranchi, cohérent et libre de contrer un gouvernement illégitime, élu par une minorité réduite du peuple.<br /> <br /> Ne pas voter ne suffit pas, il sera nécessaire de devenir la majorité grondante, être aux portes des palais lorsque les corromp-élus prendront les dernières mesures contre le peuple.<br /> <br /> Agissons par nous-mêmes, organisons-nous librement avec d'autres, dans notre milieu de travail, dans notre communauté, partout dans le monde - comme des égaux.<br /> <br /> Pour une société nouvelle, ou la liberté, l'égalité et la fraternité ne seront plus des mots vains.<br /> <br /> <br /> Comité Anonyme pour l'Abstention Active<br />
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S
Bonsoir camarades.Nous n'avons pas partagé les mêmes opinions durant la campagne mais nous devons pourtant discuter... avec nos propres moyens.. et ouvert à tous...Ainsi je vous invite à venir sur ce forum http://enavantlepcf.all-forum.net/index.htmC'est encore "petit" mais cela ne demande qu'à grandir !A bientôt.Ulrich Savary.
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M
Jeune sympathisant du parti communiste, je suis tombé par hasard sur une analyse historique qui explique pourquoi le score du PCF decline d'élections en élections. Pouvez vous me dire si cette analyse vous parait pertinente. Merci d'avance.http://www.historia-nostra.com/index.php?option=com_content&task=view&id=588&Itemid=60
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J
J'apprécie beaucoup le site des communistes unitaires de Seine-Saint-Denis, et je ne voudrais pas me poser en donneur de conseils, mais je ne sais pas si, d'une part, il ne devrait pas ouvertement se transformer en site national, et non plus à seule vocation départementale, et d'autre part proposer des thèmes pour lancer des débats plutôt que de mettre en ligne des textes qui visiblement n'intéressent pas vos visiteurs. La contribution précédente (signée Alain) n'est pas inintéressante, mais elle ne m'apporte pas grand-chose par rapport au désarroi dans lequel me plonge l'élection de Sarkozy et aux questions que je me pose.Une gauche qui se tourne vers la gauche de la droite, c'est n'importe quoi ! Ou bien le PS éclate, les électeurs de gauche trouveront enfin des repères et une alliance avec la gauche de la gauche redevient possible, ou bien c'est terminé, on entre dans une nouvelle ère qui verra alterner la droite dure et la gauche qui penche à droite...A gauche de la gauche, personne ne peut être fier de ses résultats respectifs, même pas Besancenot puisque son score n'est pas susceptible de modifier en quoi que ce soit à la situation.  Nous nous sommes tous trompés, et le temps venu il faudra analyser ce qui s'est passé avec soin. Un PC qui s'estompe peu à peu, qui n'ose pas renoncer à s'appeler communiste (ça se discute, je sais, mais il fallait le faire plus tôt sans tabou, et surtout sans manoeuvre hypocrite !), tout en se cachant derrière des étiquettes passe-partout et tout-venant lorsqu'il y a des élections, donc à visibilité limitée, voire impossible pour les non-initiés aux querelles de clans ; un PC dont le noyau dur se crispe et avec qui on ne peut plus discuter, toute critique étant vécue comme une ingérence ou une attaque, alors que la culture communiste demeure bien vivante au-delà de ses rangs. Et puis à côté une floraison sympathique et désordonnée de réseaux et de mini-organisations classés sous le terme générique d'altermondialistes ou d'anti-libéraux. Vu le score obtenu par ce mouvement (on ne peut pas lui reprocher de ne pas faire désordre et de ne pas créer débat), force est de constater que non seulement il n'a pas mordu sur l'électorat populaire, mais qu'il s'est détourné des questions gênantes que lui renvoyait cet électorat. Sur l'insécurité d'abord, assimilée à un thème du FN, et classifiée longtemps fantasme, ou réduite à un dégât collatéral du chômage et de la précarité et non comme un vécu. Je pense que comme pour les objecteurs de croissance, il faut accepter les questionnements sans forcément accepter les réponses, et prendre le temps de réfléchir avant de sortir la fiche adéquate de notre propre pensée unique.On se trouve donc avec une France coupée en deux, et une alliance objective, comme on disait avant, entre Neuilly, les personnes les plus âgées, les personnes fragilisées et insécurisées des quartiers périphériques d'une part, et d'autre part les humanistes libertaires, communistes ou gauchisants panachés d'écologie, héritiers de 68 des centre-villes d'autre part (je parle en terme de tendances, pas dans l'absolu) - auxquels il faut ajouter des libéraux au sens hisitorique du terme, des gaullistes cent pour cent pur sucre, tous hommes de droite mais fondamentalement républicains et anti-ultralibérisme.Une gauche qui dérive à droite, une autre qui s'accroche désespérément au Kapital ou au manifeste sans prendre en compte les évolutions du capitalisme à l'échelle planétaire : dans un cas comme dans l'autre pas d'autre alternative que le mur ou le marais.Une gauche qui s'interroge sur les problèmes d'environnement et sur comment aborder le nécessaire développement des pays pauvres ne peut pas ne pas se poser tôt ou tard le problème de la maîtrise par le secteur public des secteurs économiques décisifs et s'attaquer à l'écart des richesses qui ne cessent de croître !Une gauche soucieuse avant tout de croissance et non pas de bien-être ne fera que contribuer à maintenir le système jusqu'à ce que la planète détruise le parasite qui l'empoisonne et lui ronge les tripes !Donc, faire précisément le contraire de ce qu'a fait Royal lors du débat avec Sarkozy, puisqu'elle n'a pas parlé de l'écart des fortunes et n'a proposé que des bricolages pour répondre aux besoins sociaux, et qu'elle s'est laissé embarquer d'entrée sur le thème croissance et PIB, alors que c'est précisément là qu'il aurait fallu porter le fer !
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A
Nous travaillons à la mise en ligne progressive du site national permettant  de mettre en débat des thèmes, de construire de manière interactive un nouveau projet, en voici  l'adresse http://www.communistesunitaires.net/.Vous pouvez donc vous y inscrire dés maintenant.Unitairement.
A
Pour une re-naissance de la gauche "Les grands mots et les grandes poses ne servaient qu’à masquer les canailleries les plus mesquines." (Marx, à propos de Napoléon III le petit, voir l'article)                                     --------------------------------------------Notre République tire au bonapartisme tant les pouvoirs du Président y sont exorbitants, une sorte de "coup d'état permanent" (1). L'élection qui vient de porter à la tête de cet "empire républicain" le candidat de l'ultra-droite néo-libérale, régressive et autoritaire, est donc lourd de conséquences. Elle a bien sûr de nombreuses causes et...remèdes. Je n'ai pas la prétention d'en passer la revue, simplement d'en pointer quelques unes...et quelques uns, qui comptent le plus pour moi.A savoir: si la droite la plus dure est désormais, ainsi qu'elle le proclame, "décomplexée", affirmant haut et fort le socle foncièrement individualiste/égoïste de ses valeurs avec la politique économique et sociale de jungle (loi du plus fort) qui en découle, la gauche par contre, de renoncements en divisions, n'est plus audible par les classes populaires.Habillée du blanc de la pureté par les spécialistes du marketing politique, servie par les talents personnels et l'ambition d'hommes prêts à tout pour accéder au pouvoir et le conserver, faisant appel d'abord à la peur -peur de l'étranger, peur de la "racaille" et de la violence, peur de la mondialisation, peur des actionnaires et des rentiers pour leurs sous -, martelée par les plus importants medias, la politique proposée par les capitalistes s'est emparée des "masses". Les idées dominantes sont bien les idées de la classe dominante !(2)! Et la classe dominante veut maintenant aller plus loin dans sa domination. En face, la gauche doit elle aussi faire re-naître ses valeurs.Elle a dans le passé porté les principales conquêtes démocratiques et sociales de notre pays: les Révolutions de 1789 et 1848, la Commune de 1871 dont de Gaulle reconnaissait qu'elle avait "assumé la France", le Front populaire de 1936, la Libération du nazisme et du pétainisme que nous fêtons aujourd'hui, mai 68 et ses 10 millions de grévistes: tous ces mouvements et quelques-uns à la suite ont apporté à notre peuple des conquêtes matérielles et morales dont nous bénéficions encore: les droits de l'homme et du citoyen, l'éducation, la république démocratique et sociale, les congés payés, la sécurité sociale, les entreprises et services publics, le salaire minimum, la réduction du temps de travail, les droits syndicaux, etc.Mais aujourd'hui, pour paraphraser Victor Hugo, si la gauche sait d'où elle vient, elle ne sait pas où elle va.La gauche gestionnaire, obnubilée par la ligne jadis fixée par Léon Blum d'être "les gérants loyaux du capitalisme", n'en peut plus des concessions au "marché" et à l'idéologie libérale qui lui ont fait perdre une bonne part de son identité.La gauche transformatrice, mélange des gauches "protestataire" et "révolutionnaire" (3), en est arrivée, par progressive dilution du militantisme, à oublier que le parti n'est pas une fin en soi mais un moyen au service d'une cause, et que, si son "appareil" doit être préservé, il ne saurait se réduire à lui. Le "parti" d'ailleurs n'est pas forcément celui qui existe déjà: naissant "du sol de la société moderne" (2), sans doute revêtira-t-il une forme inédite, plus réseau transversal doté d'une coordination que parti centralisé comme les partis actuels regroupés autour des professionnels de la politique (élus et permanents).Je voudrais aider la gauche gestionnaire à retrouver une identité de gauche claire, moderne mais claire, plutôt que de se perdre dans le marécage "centriste". Je voudrais aider à fédérer la gauche transformatrice, plutôt que d'engager une nouvelle guerre des chapelles. Je voudrais aider à l'union des deux gauches dans l'exercice des responsabilités plutôt que de continuer à se distribuer les rôles du consul (qui gouverne) et du tribun (qui parle au nom...).Et pour cela, promouvoir le dialogue plutôt que l'anathème , la recherche d'accords de fond plutôt que du plus petit dénominateur commun, le respect des différences qui enrichit plutôt que la recherche de l'hégémonie qui appauvrit, l'intervention de la "base" - même et surtout non encartée - plutôt que les projets imposés d'en haut.La démocratie ne devrait pas résulter seulement de la pluralité des partis - qui à gauche est excessive - mais surtout de la pluralité des projets, pluralité qui ne peut émerger que de l'irruption du peuple avec ses besoins et ses aspirations dans le débat. Avec cette intervention directe des citoyens, il doit d'ailleurs devenir possible de dégager des majorités dépassant largement l'absurde 51/49: l'unanimité est quand même le but ultime de la démocratie, puisque celle-ci doit permettre de déterminer l'intérêt général, lequel n'est pas représenté par l'avis de 51 ou 53 citoyens contre l'avis des 49 ou 47 autres. Rassembler car "nous n'avancerons qu'en nous unifiant" (4), tel me semble être le maître mot de la re-naissance (la deuxième naissance) de la gauche. Le Congrès de Tours en 1920 a vu la scission entre communistes et socialistes; les dangers du monde, les risques qui pèsent sur notre terre, la nouvelle ligne que la réalité trace entre réformes et révolution, n'indiquent-ils pas que le moment est venu de se fixer l'horizon d'un Congrès de Tours à l'envers, pour unir toutes les forces progressistes responsables ?L'union n'uniformise pas, au contraire elle différencie, elle "super-personnalise" (4) en permettant à chacun d'exprimer le meilleur de lui-même; l'union n'additionne pas seulement, "elle produit" (4), elle est plus, autre et mieux que la somme des éléments qui la composent. Rassemblons-nous ! Au niveau syndical (unité d'action),au niveau politique (à commencer par les législatives), dans les associations, pour résister à l'offensive réactionnaire qui vient -car il ne s'agit pas de "réforme" mais bien de retour en arrière, de réaction - et préparer, dans une France où "la politique ne se décide pas à la corbeille" (5), un avenir qui ait du sens pour chacun et pour tous, un avenir à visage humain.        (1) Mitterrand(2) Marx(3) Régis Debray, Loués soient nos seigneurs, Ed Gallimard, pp 555 à 559(4) Teilhard de Chardin(5) De Gaulle (la corbeille=la bourse)
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